DÉCRYPTAGE. Déjà sur le départ de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, les trois pays sahéliens envisagent d’abandonner le franc CFA.
Nouveau coup dur pour l’Afrique de l’Ouest. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso – trois anciennes colonies françaises aujourd’hui dirigées par des régimes militaires – avaient déjà créé la surprise en annonçant fin janvier leur sortie « avec effet immédiat » de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qu’ils accusent d’être instrumentalisée par la France. Cette fois, les trois pays regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), qu’ils ont fondée en septembre 2023, se dirigent vers une sortie du franc CFA, la monnaie commune à huit pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui bénéficie d’une parité fixe avec l’euro. Aujourd’hui, Bamako, Niamey et Ouagadougou souhaitent créer leur propre monnaie unique, le sahel, d’après les informations qui ont filtré dans la presse régionale. Plus qu’une nouvelle rupture avec le bloc régional ouest-africain, cette décision s’annonce lourde de conséquences et périlleuse pour ces trois États parmi les plus pauvres au monde.
Une velléité de plus en plus forte
Alors que le sujet revenait de plus en plus dans la presse et les réseaux sociaux, dimanche, le général Abdourahamane Tiani, à la tête de la junte issue d’un coup d’État au Niger, a affirmé dans un entretien à la télévision nationale : « La France nous a spoliés pendant plus de 107 ans et elle doit payer cash les dettes de 65 ans de pillages systématiques de nos ressources et les 42 ans, nous trouverons un échéancier pour que l’on soit quitte avec la France », ex-puissance coloniale. D’après le dirigeant nigérien, « la monnaie est une étape de sortie de cette colonisation ». Il a ajouté que les trois États sahéliens « disposaient d’experts [monétaires] et, au moment opportun, [ils] décideron[t] », a-t-il poursuivi. « La monnaie est un signe de souveraineté », a martelé le général Tiani, et les États de l’AES sont « engagés dans un processus de recouvrement de [leur] souveraineté totale ». D’après lui, « il n’est plus question que nos États soient la vache à lait de la France ».
Quelques jours auparavant, c’était Ibrahim Traoré, le chef de la junte au pouvoir au Burkina Faso, qui affirmait avec force : « Ce n’est pas seulement la monnaie. Tout ce qui nous maintient en esclavage, nous briserons ces liens », dans une interview publiée sur YouTube.
Situation de crise
Pour les experts, cette volonté de sortir de l’UEMOA n’est pas une surprise, plutôt une suite logique après leur décision de quitter la Cedeao, fondée en 1975 et censée régir les relations diplomatiques entre les quinze États membres. Il faut dire que les relations entre l’organisation ouest-africaine et les dirigeants putschistes sont au plus mal. La Cedeao s’est opposée aux coups d’État militaires dans les trois pays sahéliens et avait notamment imposé de lourdes sanctions économiques au Mali, avant d’en appliquer au Niger. En août, l’institution est allée jusqu’à menacer d’intervenir militairement à Niamey pour y rétablir l’ordre constitutionnel et libérer le président renversé Mohamed Bazoum, toujours séquestré. Selon les statuts de la Cedeao, une période d’une année est prévue pour négocier le départ d’un pays membre. L’organisation sous-régionale s’est dite ouverte à la discussion.
Au-delà des questions idéologiques… une opportunité ?
Concrètement, à ce jour, aucun des dirigeants de l’AES n’a donné de précisions sur la façon dont ils comptaient s’y prendre pour sortir du bloc économique, ni à quelle échéance. De quoi créer un climat de suspicion et d’inquiétudes dans ces pays.
Cette semaine, le chef du gouvernement de transition du Burkina Faso, Apollinaire Joachimson Kyelem de Tambèla, a tenté de rassurer en allant à la rencontre des opérateurs économiques. Objectif : les convaincre que cette sortie de l’UEMOA peut – au-delà des questions idéologiques – représenter une opportunité. « Notre gouvernement ne mènera pas d’action sans associer le secteur privé », a-t-il dit, notamment face au patronat burkinabé. Il a assuré que le gouvernement négocierait des accords bilatéraux avec les pays membres à la suite du retrait de la Cedeao. « Le retrait de la Cedeao va donc nous permettre de nous réorganiser en fonction de nos intérêts et de signer des accords bilatéraux avec ceux qui le voudront dans divers domaines, en fonction des intérêts réciproques, et ce, sans l’immixtion de quelque puissance que ce soit », a souligné le Premier ministre, alors que le secteur privé a fait part de ses préoccupations. Et elles sont nombreuses et concrètes.
Sortir du franc CFA, une décision lourde de conséquences économiques
Aujourd’hui, la Cedeao est largement dominée par le géant nigérian qui représente à lui seul 66 % du PIB, tandis que les trois pays réunis au sein de l’AES ne pèsent que 8 %. Le Mali, le Niger et le Burkina – avec des économies majoritairement agricoles – sont également dépourvus de littoral. Ils restent dépendants de la Cedeao sur de nombreux autres aspects économiques, comme leur fourniture en électricité. L’institution apporte également une garantie pour l’accès de ces pays au marché financier international. En sortant de l’UEMOA, les trois États se priveraient de futurs financements par exemple. Ils pourraient voir leur notation rapidement dégradées et la future nouvelle monnaie dévaluée. Pour le Niger, le Mali et le Burkina Faso, les enjeux ne consistent pas simplement à imprimer de nouveaux billets, il faudra également mettre en place une banque centrale, formuler et décider d’une politique monétaire commune, gérer la transition vers l’abandon du franc CFA et bien d’autres questions d’importance. Cité par Reuters, Charlie Robertson, responsable de la stratégie macro chez FIM Partners, basé à Londres, a déclaré qu’« abandonner la monnaie unique entraînerait une Grande Dépression », ajoutant que ce serait la pire erreur politique que ces pays pourraient commettre. De quoi faire réfléchir, alors que le Mali est le seul des trois pays à avoir tenté entre 1962 et 1967 l’expérience d’une monnaie nationale, sans succès.
La question du franc CFA, créé en 1945, est un véritable serpent de mer pour les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Tandis que ses partisans saluent son ancrage à l’euro comme une garantie de stabilité macroéconomique, à l’inverse, ses détracteurs le dénoncent comme un frein à la croissance et un vestige dépassé de la domination coloniale française. Jusqu’à une réforme de 2019, les pays étaient tenus de détenir une partie de leurs réserves de change auprès du Trésor français.