En RCA, les agences immobilières illégales font perdre des milliards à l’Etat chaque année(rapport)
Les 11 agences immobilières qui évoluent en toute illégalité dans le pays réalisent un chiffre d’affaires situé entre 3 et 9 milliards Fcfa, mais l’Etat n’en tire aucun profit au plan fiscal.
En République centrafricaine (RCA), le secteur de l’immobilier sort peu à peu de son marasme. Si les troubles sociopolitiques et religieux qui ont secoué le pays à partir de 2013 et qui y ont aggravé la crise du logement – plus d’un million de Centrafricains s’étaient retrouvés sans habitations – ne relèvent pas encore totalement du passé, l’activité immobilière locale est de plus en plus florissante, mais suscite des inquiétudes parce qu’encore insuffisamment encadrée. Le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (Gabac) fait état d’une explosion du nombre des transactions immobilières, qui présentent toutefois un niveau élevé d’exposition à la délinquance financière et économique. « En effet, c’est un secteur à risque en ce sens qu’aucune agence immobilière n’est agréée par l’autorité compétente pour mener cette activité », signale le Gabac, dans son dernier rapport sur les mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en Centrafrique, publié en novembre 2023.
L’institution spécialisée de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) qui promeut des normes, instruments et standards de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, dit avoir en effet constaté qu’une bonne dizaine d’agences immobilières opèrent dans la clandestinité en RCA, « ce qui n’exclut pas les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ». A cela s’ajoute le cas d’arrivée massive des investisseurs étrangers dans le secteur immobilier, pour lesquels l’identité, l’origine et la traçabilité du patrimoine et des fonds restent difficiles à établir et leur licéité incertaine. « Plus grave encore, plusieurs bureaux d’achats de diamants et or opèrent sous la forme d’agence immobilière sans en avoir le statut », signale-t-elle. La dernière étude de typologie sur les risques de blanchement d’argent et de financement du terrorisme inhérents au secteur de l’immobilier menée par le Gabac en 2020 indique d’ailleurs que les risques sont très élevés.
Marchés publics fictifs
Selon les données obtenues, le chiffre d’affaires consolidé des 11 agences immobilières en activité dans l’informel est estimé à plus 3 milliards Fcfa. « Cependant, au regard de l’intensité de l’activité et des nouveaux investissements, l’équipe [les enquêteurs du Gabac, Ndlr] estime que ces chiffres peuvent être doublés, voire triplés pour espérer refléter la réalité ». Ce qui signifie, en clair, que les revenus engrangés par cette dizaines d’opérateurs qui évoluent en toute illégalité tourneraient autour de 9 milliards Fcfa chaque année ; revenus desquels le trésor public ne tire malheureusement aucun profit au plan fiscal. Le Gabac note qu’en raison de la vétusté des textes régissant l’activité immobilière, aucune autorité n’est désignée pour contrôler et surveiller les activités des agents immobiliers. En effet, la loi de 1960 portant code domanial et foncier de la République centrafricaine, toujours en vigueur à ce jour, n’intègre aucun volet de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, encore moins la promotion des activités des agents immobiliers.
Néanmoins, cette loi est en cours de révision au moment même où « l’on note une pléthore de dossiers judiciaires en lien avec l’immobilier en instance devant les juridictions », souligne le Gabac. D’après l’institution, la menace dans ce domaine concerne tant le blanchiment de produits d’infractions telles que la corruption, le détournement des deniers publics, l’abus de confiance, la fraude fiscale, l’escroquerie que le trafic de stupéfiants. « Donc, ce secteur peut potentiellement constituer une niche pour blanchir des fonds illégalement acquis dans des opérations de corruptions, de fraudes fiscales et douanières ou de marchés publics fictifs. En somme, tous ces facteurs permettent d’accorder une importance considérable à ce secteur », conclut le rapport. L’Etat centrafricain gagnerait à juguler ces vulnérabilités et à faire du secteur de l’immobilier une niche de revenus pour le fisc.